Crise mai 2024 : la prise de congés imposée par l’employeur

Crise mai 2024 : la prise de congés imposée par l’employeur

Crise mai 2024 : la prise de congés imposée par l’employeur

Note de Maitre Pierrick Tricot sur la prise de congés imposés par l’employeur suite aux événements sur le territoire calédonien.

 

Le contexte :

Suite aux récents événements survenus sur le territoire calédonien, de nombreuses entreprises ont été contraintes de fermer leurs portes notamment durant l’état d’urgence du 14 au 31 mai 2024.

Dans ce contexte se pose la question de la rémunération des salariés durant cette période de fermeture, étant précisé que de nombreuses entreprises proposent ou imposent aux salariés un placement en congés payés ou congés sans solde.

Au-delà ce point, se pose la question générale du pouvoir de l’employeur d’imposer la prise de congés à ses salariés, notamment dans le cadre actuel afin de faire face à une baisse d’activité suite aux événements actuels.

 

Le droit :

Concernant les congés payés :

 

Article Lp. 241-11

La période de prise des congés payés est fixée par les conventions ou accords collectifs de travail.

A défaut de convention ou accord de travail, cette période est fixée par l’employeur en se référant aux usages et après consultation des délégués du personnel et du comité d’entreprise.

 

Article Lp. 241-12

A l’intérieur de la période des congés et à moins que l’ordre des départs ne résulte des stipulations des conventions ou accords collectifs de travail ou des usages, cet ordre est fixé par l’employeur après avis, le cas échéant, des délégués du personnel.

Pour fixer l’ordre des départs, l’employeur tient compte :

1° De la situation de famille des bénéficiaires, notamment des possibilités de congé du conjoint ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans le secteur privé ou public ;

De la durée de leurs services chez l’employeur.

 

Article Lp. 241-14

Sauf en cas de circonstances exceptionnelles, l’ordre et les dates de départ fixés par l’employeur ne peuvent être modifiés dans le délai d’un mois avant la date prévue du départ.

Selon la Cour de Cassation, les circonstances exceptionnelles ne concernant que la modification des dates de congés déjà fixées, il n’y avait pas lieu de s’y référer (Cass. crim., 21 nov. 1995, no 94- 81.791, Bull. crim., no 355).

 

Article R. 241-4

L’employeur porte à la connaissance des salariés, au moins deux mois avant, la période de fermeture lorsqu’il y a fermeture d’entreprise.

Dans les autres cas, lorsqu’il est établi un planning des congés, l’ordre des départs est communiqué au salarié quinze jours avant son départ.

Cet ordre des départs est fixé par l’employeur, après consultation du personnel ou de ses délégués, en tenant compte de la situation de famille des bénéficiaires et de la durée de leurs services dans l’établissement.

Il est affiché dans les ateliers, bureaux et magasins,

 

En cas d’abus de l’employeur quant à la fixation de la date des congés, le salarié a droit à la réparation de son préjudice et non au paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés. Tel est le cas, par exemple, pour un salarié qui est informé seulement 7 jours avant la date de ses congés et s’est vu imposer la prise de congés par anticipation (Cass. soc., 4 janv. 2000, n° 97-41.374, n° 42 P+ B).

La Cour de cassation a maintes fois affirmé que l’employeur ne pouvait imposer aux salariés la prise anticipée des congés et ce, quelles que soient les circonstances, sauf si un accord est intervenu entre le salarié et l’employeur.

Il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de l’acceptation individuelle des salariés. A défaut, il peut être condamné à indemniser les salariés mis indûment en congés. (Cass. soc., 19 juin 1996, no 93-46.549).

 

Concernant les congés sans solde :

Pas de définition légale du congé sans solde (en métropole comme en Nouvelle-Calédonie). Il s’agit d’un accord entre l’employeur et le salarié par lequel les deux parties s’accordent sur une suspension du contrat de travail durant un temps donné. Cela implique donc que le salarié ne soit pas rémunéré car son contrat de travail est suspendu et donc qu’il n’est pas tenu d’effectuer sa prestation de travail.

 

L’analyse :

Il ressort de ces textes et jurisprudences que s’agissant des congés payés, si l’employeur détermine la période de prise des congés payés et fixe les dates de départ en congés, il est toutefois tenu de respecter des délais et de consulter les représentants du personnel avant la fixation de la période de prise de congés et ensuite avant la fixation de l’ordre des départs. De même, les salariés doivent être avertis deux mois avant d’une fermeture de l’entreprise et quinze jours du planning des congés.

Seule une modification de dates de congés déjà fixées peut-être imposée par l’employeur en prévenant le salarié dans le délai d’un mois avant la date prévue. Au-delà de ce délai l’employeur doit donc être en mesure de prouver qu’il a averti le salarié de la modification de ses dates de congés.

 

En résumé, un employeur ne peut pas fixer seul une date de prise de congés payés qui aurait lieu soit rétroactivement (à une date déjà passée), soit à une date proche, qui plus est, sans avoir consulté les représentants du personnel.

 

Ainsi, le fait pour l’employeur d’imposer la prise de congés payés pour la période de fermeture de l’entreprise déjà passée est illicite. Il en va de même d’imposer des jours de congés payés qui auraient lieu le lendemain ou dans les prochains jours.

Seules des modifications des jours de congés payés déjà posés pourraient être envisagées, à la condition toutefois qu’il s’agisse de congés déjà posés et qu’ils soient prévus à une date supérieure à un mois. Surtout, dans un tel cas, l’employeur doit nécessairement prévenir le salarié de la modification de ses dates de congés.

Pour rappel, dans tous les cas, l’employeur ne peut pas qualifier une période déjà passée de congés payés alors qu’aucun congé n’aurait été fixé, posé, pris… préalablement par le salarié.

S’agissant du congé sans solde, celui-ci nécessitant l’accord du salarié et de l’employeur, il ne peut pas être imposé par l’employeur ; encore moins après-coup.

Surtout, dans le cas présent, les salariés n’ont aucun intérêt à demander un placement en congé sans solde durant la période d’état d’urgence. Cela aurait pour seul effet de les priver de salaire sur cette période en donnant un motif à l’employeur permettant de s’affranchir du paiement du salaire.

Après étude des jurisprudences, notamment métropolitaine, les cas de fermeture d’entreprise permettant à l’employeur de s’affranchir du paiement du salaire sont limitées à des hypothèses de lock-out qui est une situation dans laquelle face à une grève l’employeur doit fermer l’entreprise pour de raisons strictement prévues et limitées.

S’agissant de la situation actuelle sur le territoire calédonien, rien dans le Code du travail calédonien ou l’AIT ne prévoit ou justifie ou fermeture temporaire légale de l’entreprise par l’employeur (hors cas des fermeture annuelles en cas de congés payés).

En conséquence, les fermetures décidées par les employeurs du fait de l’état d’urgence n’impliquaient pas suspension des contrats de travail et donc obligation de régler les salaires.

Les demandes de placement en congé sans solde ou congés payés, qui plus de manière individuelle, apparaissent ainsi comme un moyen de se détourner de cette obligation de règlement des salaires.